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Journal d'une immortelle (6)




28 juillet 1890

Je suis réellement à bout ! Je dois m'enfuir, encore une fois!



Comment puis-je supporter la hargne le lundi, l’indifférence le mardi, le mépris le mercredi, l’humiliation le jeudi, autant de préliminaires à cette guerre de fin de semaine qui se joue entre ma mère, son clan et moi ?


Au lieu d’accueillir à bras ouverts ces fabuleux progrès qui sont en train de changer la face du monde, elle ne cesse de gémir et de regretter l’ancien temps. Celui où nous courions d’un bout à l’autre d’un pays en meurtrissant la population.

Pour nous nourrir, il est vrai, bien que nous ayons en notre sein quelques sadiques, plus amateurs de souffrance humaine que de nourriture. Obsédés qu’ils sont par leur immense et irréductible faim, ils tournent le dos à la modernité avec une insupportable arrogance.

Nos rivalités n’ont pas fini de nous amoindrir.


Par instants, il me vient à l’esprit que cette modernité qui m’enchante et m’enivre pourrait bien, à terme, nous condamner à mort.

Qui serons-nous demain, lorsque les humains se déplaceront aussi vite si ce n’est plus rapidement que nous ?

Qui serons-nous demain quand ils pourront communiquer d’un pays à l’autre, sans se voir ou se rencontrer physiquement ?




Il pleut sans discontinuer sur Paris.

Je me suis installée à Montparnasse, non loin de la Coupole où je passe des heures, de jour comme de nuit, à boire et à discuter du monde nouveau, entourée d’artistes et d’écrivains, tous fauchés, tous exaltés.


Je ne doute pas que certains deviendront célèbres et, ainsi, immortels ou tout du moins immortalisés pour les générations futures.












Le Portrait de Dorian Gray vient d’être publié. Wilde m’a adressé une lettre enflammée pour m’annoncer sa venue à Paris, me faisant comprendre qu’il rencontrait quelque difficulté avec le père de l’un de ses amants.


La modernité ne pourra pas échapper à la question du genre et de la liberté. Quant à l'immortalité, elle ne peut que nous pousser à explorer toutes les possibilités romantiques et sexuelles, sinon à quoi cela servirait-il de vivre éternellement en étant toujours le même ?


Je m'imagine dans cent ans et je me dis que je pourrais peut-être alors changer de corps et de sexe, modifier mon cerveau… mais sans doute suis-je en train de rêver.

À suivre…


photo lippincott's © wikipedia


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